Publié dans « PME, le magazine de l’entrepreneurship du Québec », édition de mai 1998, écrit par Hélène Buzetti
Mi-capitalistes, mi-philanthropes, les anges investisseurs financent les startups prometteurs que les banques ignorent
Un jeudi soir de février dernier, 20 jeunes entrepreneurs ont franchi les lourdes portes du très sélect Club Saint-Jacques, au centre-ville de Montréal. Leur cœur battait à tout rompre, car ils allaient peut-être rencontrer leur bon ange, un ange sans ailes, mais avec les poches assez profondes pour financer leurs rêves d’affaires.
Organisées conjointement par la Fondation du maire de Montréal pour la jeunesse et la Jeune Chambre de commerce de Montréal, les Soirées des Anges financiers permettent aux jeunes entrepreneurs de la région de tisser des liens avec les investisseurs privés. Ils peuvent ainsi recevoir d’eux le soutien moral et monétaire que les institutions financières ne sont pas encore prêtes à leur accorder parce qu’ils n’ont pas d’historique, pas d’actifs, peu d’expérience, et que leur PME présente beaucoup de risques.
Retour à ce soir de février dernier au Club Saint-Jacques. Œuvrant autant dans les domaines de la biotechnologie, des technologies de l’information, de l’environnement et de la mode, les 20 jeunes PME présentes avaient comme point commun d’avoir été lancées depuis trois ans ou moins par des jeunes de 18 à 35 ans, et d’être encadrées par des organismes de parrainage comme le Centre d’entreprise et d’innovation de Montréal (CEIM), Inno-centre, l’Association communautaire d’emprunt de Montréal ou les Services d’aides aux jeunes entrepreneurs (SAJE). Après avoir exposé leurs objectifs aux 150 figures du monde des affaires présentes, les entrepreneurs ont tenu des kiosques en espérant attirer et séduire un de ces mystérieux investisseurs.
« C’est un SAJE qui a soumis notre candidature, raconte Denis Lamothe, président d’Icarus. Notre objectif est de faire connaître nos talents d’administrateurs et l’énorme potentiel de notre technologie. » Ce startup a élaboré un dispositif permettant d’acheminer en temps réel et en toute confidentialité des conversations téléphoniques par le biais d’Internet. Puisque l’appareil élimine les frais d’interurbain, l’utilisateur en amortit le coût d’achat en moins de six mois.
Participer à cette soirée est aussi pour ces jeunes une occasion inouïe de rencontrer des clients potentiels. « Il y a ici des gens qui mettent sur pied des centres d’appels et qui seraient intéressés à intégrer notre technologie ! confie Denis Lamothe. Bien sûr, nous aimerions un apport d’argent frais pour amorcer la commercialisation de notre produit. Mais, nous serions aussi capables de remplir une telle commande. »
Réseau de contacts
« Plus que d’argent, ces jeunes ont besoin de conseils, de parrainage et d’avoir accès à un réseau de contacts », résume Marguerite Blais, directrice générale de la Fondation du maire de Montréal et instigatrice de l’événement.
Studio Vox, par exemple, qui participait aussi à la soirée, recherchait surtout le soutien de lobbyistes en règle. Laurent Gallard et Gabrielle Béroff, les copropriétaires, ont développé un système audio de description d’images permettant aux personnes aveugles de visionner des films dans les mêmes salles que les personnes voyantes : les descriptions étant captées au moyen de casques d’écoute à infrarouges ultra légers, les non-voyants peuvent en plus entendre les murmures de la salle de cinéma et ainsi, ne pas se sentir isolés. Cependant, pour que le produit devienne rentable, il faudrait que le gouvernement impose des quotas sur le nombre de productions à décrire. « Notre ange idéal serait quelqu’un qui est prêt à nous ouvrir des portes au gouvernement », dit Gabrielle Béroff.
« L’ange type que nous cherchons ce soir est une personne capable de comprendre que lorsqu’on parle de technologie et de matière grise, on a peu de garanties à offrir, résume Pierre Savignac, président fondateur d’Emergex Subventions. On cherche des partenaires qui font preuve de créativité, qui s’intéressent plus à ce qu’on fait qu’à ce qu’on possède. »
Qui se cache sous l’auréole?
Les anges financiers incarnent la rencontre de la philanthropie et du capitalisme. Foncièrement investisseurs, ce sont habituellement des gens d’affaires parvenus au faîte de la réussite et désirant faire profiter la relève de leur argent et de leur expérience.
Selon une étude du Conseil de la science et de la technologie sur l’investissement informel, le Québec compterait 2175 anges disposant chacun d’entre 50 000 dollars et un million de dollars, pour un portefeuille d’une valeur totale de 1,36 milliard de dollars ! Ils investissent dans de jeunes entreprises prometteuses comme celles présentées lors des Soirées des Anges, ce qui leur permet, contrairement à la bourse, de surveiller leur argent tout en se sentant utiles.
Le comédien et homme d’affaires Daniel Pilon figure au nombre de ces fameux bienfaiteurs : « Il y a une sorte de postulat économique, à savoir que la mondialisation répond à tous les problèmes, dit-il. Mais, ça mène à un capitalisme sauvage et ça enlève des possibilités aux jeunes. Toutes les décisions financières sont désormais motivées par l’esprit du gain. On veut des résultats rapides à la bourse. Les anges encouragent plutôt ceux qui ont de bonnes idées et acheminent les capitaux vers ceux qui les méritent. »
Mais, les anges ne s’affichent pas tous comme lui. La plupart fuient à l’approche des journalistes. « Être ange, ce n’est pas une chose dont les gens se vantent, indique Marguerite Blais. Nous n’avons pas choisi le terme ange pour rien. Il y a quelque chose d’ésotérique là-dedans. Et beaucoup ne portent pas le bon chapeau. Ils se présentent comme représentants d’une banque, mais ils viennent parce qu’ils veulent investir un peu de leur propre argent. »
Pour stopper l’exode des cerveaux
L’idée d’organiser une Soirée des Anges financiers est née dans l’esprit de Marguerite Blais, inquiète de « l’exode des cerveaux et de la grisaille qui plane sur Montréal. » Il faut tendre la main à la relève, prêche la directrice générale de la Fondation du maire : « La compétition appartient au passé et le présent se conjugue au partenariat. »
Très forte à Silicone Valley, la culture des anges financiers s’est développée ici dans les régions de Québec et de la Beauce où ce genre de soirée s’organise régulièrement. À cause de sa taille, de sa diversité et de sa multiethnicité, Montréal souffre d’une fragmentation qui rend difficile l’émergence d’un esprit d’entraide similaire. « On veut que les jeunes restent, insiste Mme Blais. On veut développer des entrepreneurs civiques qui redonnent à la communauté après avoir été eux-mêmes aidés. »
La Soirée des Anges financiers se voulant avant tout une vitrine pour les jeunes entrepreneurs, il est difficile d’en quantifier les effets bénéfiques, d’autant plus que la Fondation n’effectue pas de suivi systématique des entreprises. Tels des entremetteurs, les organisateurs ne font qu’inviter dans une même pièce ceux qui ont de l’argent et ceux qui ont des idées, sans garantir de résultats. Certains participants repartent donc bredouilles, alors que d’autres ont rempli leurs poches de cartes d’affaires de gens potentiellement intéressés.