Publié dans le magazine L’Économique, janvier-février 1997, écrit par François Perreault
Le nouveau beat de la communauté d’Affaires québécoise
Le monde du multimédia est en pleine croissance au Québec. Bien que relativement jeune, ce secteur s’affirme tant par ses innovations technologiques que par l’expertise, la qualité et la diversité des entreprises spécialisées qui le composent. C’est un monde où l’on retrouve à la fois des gros joueurs et des jeunes compagnies dynamiques et créatrices. Et chacun d’eux réinvente à sa façon le domaine des communications.
En août dernier, le bulletin Invest-Québec, publié par le ministère québécois de l’Industrie, du Commerce, de la Science et de la Technologie, estimait que l’industrie du multimédia au Québec, qui ne date pourtant que de quelques années, regroupait déjà plus de 400 entreprises et employait environ 2 500 personnes. Qui plus est, toujours selon Invest-Québec, les compagnies québécoises produisent 18 % des logiciels graphiques utilisés à des fins multimédias à travers le monde.
La force de cette industrie se mesure aussi par les emplois qu’elle génère. Ainsi, Montréal occupe le septième rang parmi les villes nord-américaines pour ce qui est de la création d’emploi relié au technologies de l’information (voir la revue L’Économique, août-septembre 1996, page 34 « Montréal, leader de la nouvelle économie »).
Les entreprises québécoises en multimédia couvrent tous les aspects du domaine. Les plus connues sont évidemment celles qui commercialisent des produits tels que des CD-ROM ou des logiciels. Cependant, 80 % d’entre elles ne fabriquent aucun produit. Elles offrent plutôt des services conseils et de la formation, ou encore elles sont spécialisées dans la conception de pages Web.
Des conjonctures convergentes
Comment expliquer que le Québec réussisse à tirer son épingle du jeu dans ce secteur hautement compétitif ? Selon Louise Guay, présidente et fondatrice de Public Technologies Multimédia (voir L’Économique, août-septembre 1996, « L’ère du contenu »), l’explication relève à la fois des contextes politique, social et culturel. « Le léger frisson qu’occasionne notre état minoritaire en Amérique fait parfois naître de grandes choses, dit-elle. Nous avons survécu en tant que peuple francophone parce que nous avons toujours été capables de bien maîtriser la communication. De plus, en affaires, les Québécois n’ont jamais eu une attitude impérialiste. Nos entrepreneurs n’imposent pas leurs idées et leurs méthodes. De fait, je dirais que les Québécois, tout comme les Californiens, sont naturellement cools. Ils préfèrent convaincre et séduire. Cela s’est toujours reflété sur la culture des entreprises d’ici où on laisse une grande place à la créativité et à l’innovation. Les Québécois étaient donc déjà bien positionnés lorsque la communication a pris une place grandissante dans la culture d’entreprise. »
La géographie comporte également une partie de l’explication, selon l’entrepreneure. « Nous avons l’avantage de prendre rapidement connaissance de ce que développent les États-Unis, dit-elle. Cependant, en multimédia, les Québécois ont eu le flair de ne pas se contenter de copier les Américains. Ainsi, les innovations québécoises vont bien au-delà de la technologie. Elles sont toujours marquées des éléments pédagogiques et éducatifs. De fait, elles se caractérisent par la transmission des connaissances. Cela nous permet, dans une certaine mesure, de bénéficier d’une force par rapport aux États-Unis face au reste du monde. »
Petit, mais reconnu partout
Paradoxalement, certains expliquent que c’est la petite taille du Québec qui lui a permis de bâtir une industrie du logiciel et du multimédia reconnue internationalement. « Le Québec compte assez peu d’investisseurs prêts à s’engager dans des entreprises à forte capitalisation, dit Pierre Savignac, chef de produit Internet chez Vidéotron. Ces investisseurs ce sont tournés vers les industries du logiciel et du multimédia, car elles nécessitent pas beaucoup de capital de départ. C’est ce qui a donné naissance au domaine. Par la suite, il s’est produit une darwinisation du secteur. Les entreprises qui ont connu du succès ont tout naturellement entraîné la création d’autres compagnies, de sous-traitants, de fournisseurs, de consultants, etc. »
L’exemple le plus connu à ce chapitre est sans aucun doute Richard Szalwinski, un des premiers employés de Softimage en 1987, qui a fondé Discreet Logic en septembre 1991 avec deux autres ex-Softimage, Diana Shearwood et Simon Mowbray. Discreet Logic a notamment conçu les logiciels Flame et Flint, utilisés pour l’animation et les effets spéciaux dans des films tels que True Lies, Speed, Forrest Gump et Interview with the Vampire.
Les géants sont bienvenus
L’essor du multimédia au Québec est tel qu’il a rapidement suscité l’intérêt d’entreprise de secteurs connexes qui, aujourd’hui, investissent massivement des ressources financières, physiques et humaines dans le domaine. Pour Michèle Guay, présidente du Centre de promotion du logiciel québécois (CPLQ), l’impact de la participation de ces gros joueurs se mesure à plusieurs niveau. « En peu de temps, rappelle-t-elle, nous avons vu des géants de l’industrie classique des communications, comme Quebecor, Astral, le Groupe Transcontinental, se positionner dans le secteur. Non seulement ces grands groupes ont fourni un apport considérable en capital, mais ils ont injecté au multimédia toute leur expertise en matière de contenu. Ces entreprises savent parfaitement gérer l’information. Leur présence est importante et nécessaire, car le développement de l’industrie passe autant par l’expertise technique que par l’évolution des contenus. »
Pierre Savignac, de Vidéotron, insiste lui aussi pour souligner l’importance que prendra le contenu au cours des années à venir. « Nous terminerons une ère, dit-il. Pendant quelques années, nous avons vécu une course à l’accès. L’offre et la demande étaient importantes. Maintenant, le marché s’épure et les joueurs en place consolident leur position. Désormais, il faudra s’attendre à ce que l’accent soit mis sur les contenus. »
Réunir les forces
Selon Michèle Guay, du CPLQ, la diversité des entreprises servira le Québec à ce niveau. Elle permettra au secteur du multimédia de se développer sur plusieurs axes. « Déjà, dit-elle, des maisons de production ont conçu des logiciels de postproduction et d’animation 2D et 3D. De la même façon, de nombreux éditeurs conçoivent des CD-ROM. Cette diversité est un atout de taille pour le Québec sur le plan mondial. »
Toutefois, la grande variété des champs d’expertise servira l’industrie dans la mesure où ses forces vives seront réunies. Pour Louise A. Perras, directrice générale du Centre d’expertise et de services en applications multimédias (CESAM), une présence forte du Québec sur les marchés internationaux passe par des partenariats. « C’est là que se joue l’avenir de l’industrie, juge-t-elle. Le Québec est reconnu à l’échelle mondiale pour créer des concepts innovateurs. Cependant, la concurrence mondiale est si forte que nous devons désormais offrir une valeur ajoutée à nos produits. Pour y parvenir, il est impératif que les différents joueurs se concertent et établissent des ententes. Nous pouvons nous inspirer de ce qui se passe dans d’autres secteurs d’activité. Par exemple, en pharmacie, si des compétiteurs comme Uniprix et Jean Coutu peuvent brasser des affaires ensemble, les entreprises de multimédia le peuvent certainement. »
Un nouvel atout pour les entreprises
Un peu à la manière des autres secteurs technologiques récents, le multimédia prend de plus en plus de place tant au près du grand public que dans le fonctionnement des entreprises. Et, dans ce dernier cas, les exemples d’utilisation sont frappant. « Le multimédia est devenu un atout pour les grandes entreprises, soutient Louise Guay, de Public Technologies Multimédia. Elles l’utilisent pour la présentation de leur rapport annuel ou encore elles développent des sites Web qui deviennent de véritables centres de services. De fait, il n’est pas exagéré de dire que le multimédia est maintenant un outil naturel dans la vie d’entreprise. Il entre dans les plans de communication, dans la planification annuelle et dans les stratégies de croissance. »
Cette intégration réussite du multimédia ne signifie toutefois pas que la situation actuelle soit parfaite. Il s’agit plutôt d’une première étape. « Il faut admettre que les entreprises connaissent encore mal les nouveautés, dit Pierre Savignac, de Vidéotron. Elles devront développer une veille technologique qui leur permettra de bénéficier des meilleurs outils et d’utiliser de façon optimale les possibilités du multimédia. »
Mais l’industrie du multimédia elle-même devra également faire ses devoirs afin de séduire le monde corporatif. « L’utilisation des intranets démontre l’ouverture d’esprit des dirigeants d’entreprise et des décideurs, dit Monique Lefebvre, présidente de Quebecor Multimédia. Toutefois, il faudra apprendre à leur démontrer que le multimédia peut constituer une valeur ajoutée. Nous devons mettre en évidence les solutions aux problèmes que vivent les entreprises plutôt que de focaliser sur la technologie elle-même. Il est inutile de proposer des page Web ou des CD-ROM qui n’apportent rien de nouveau à un rapport annuel. Pour un bon nombre de dirigeants, le multimédia représente l’inconnu. Ils n’osent même pas se servir de leur courrier électronique. Nous devons donc prendre les moyens physiques pour démystifier le domaine. »
Pour Stéphane Vaillancourt, vice-président de la division Inforoute et multimédia de Bell, les décideurs ont avantage à maîtriser rapidement les nouvelles technologies. « C’est une question de compétitivité, dit-il. Autrefois, les entreprises solides étaient celles qui accédaient à l’information. Maintenant que cet accès est beaucoup plus large, les dirigeants efficaces sont ceux qui pourront accéder à l’information de façon rapide et qui sauront l’utiliser intelligemment. »
Les enjeux de l’avenir
Si la démystification auprès des gens d’affaires est un enjeu important, il en va de même auprès du grand public. « Le mot lui-même effraie les gens, reconnaît Michèle Guay. Pourtant, lorsqu’ils consultent une encyclopédie sur CD-ROM et qu’on leur explique tout ce qui se trouvent alors dans l’univers multimédia, ils réalisent que l’expérience n’est pas si complexe et si douloureuse qu’ils le croyaient. »
Il n’en demeure pas moins que la technologie ne fait pas nécessairement partie de la réalité quotidienne d’une majorité de Québécois. Par exemple, la fréquentation du réseau Internet est légèrement en dessous de ce que prévoyaient les experts à l’origine, particulièrement au Québec. Ainsi, Statistique Canada dévoilait en novembre dernier que le taux d’utilisation d’Internet dans les foyers québécois atteignait un maigre 4,7 %. En comparaison, ce taux atteint 9 % en Ontario et 10 % en Colombie-Britannique. « Mais, avant de penser rejoindre l’ensemble de la population, dit Pierre Savignac, de Vidéotron, nous devons d’abord toucher les quelques 30 % qui possèdent un ordinateur. Pour y parvenir, il faudra améliorer sans cesse la rapidité de communication. »
« Il sera aussi important de trouver ce que les anglophones appellent des Killer-applications pour rallier le plus grand nombre de gens possible. Je n’ai pas l’idée précise des moyens éventuels à prendre pour y arriver. C’est par le principe d’essais et d’erreurs que nous pourrons finalement répondre aux besoins. En fait, c’est un peu de cette façon que le réseau Internet est devenu ce qu’il est aujourd’hui. La masse critique a suscité son émergence en combinaison avec une puissance accrue des ordinateurs qui pouvaient désormais être interreliés. »
Retour à la base
Pour Monique Lefebvre, de Quebecor Multimédia, il est temps d’accorder moins d’importance aux prouesses technologiques et, en revanche, de s’assurer de la bonne compréhension des outils multimédias par le grand public. « Je suis totalement contre le discours culpabilisateur de certains experts, dit-elle. Si les gens ne comprennent pas nos produits, c’est à nous de les simplifier. Nous devons, collectivement, prendre un virage et porter attention aux besoins des utilisateurs. Cessons de nous louanger et répondons plutôt aux questions que posent les gens : Qu’est-ce que le multimédia m’apporte ? Est-ce simple à utiliser ? etc. Et il s’agit plutôt de respecter les consommateurs de produits et de services technologiques. Un simple exemple : comment se fait-il que certains CD-ROM ne soient pas encore hybrides? »
De son côté, Stéphane Vaillancourt, de Bell, estime que les experts en multimédia devront toujours analyser les situations avec un certain recul. « Il est facile pour les membres de notre industrie de se laisser emporter par l’enthousiasme, dit-il. Cependant, il faut toujours garder en tête que ce sont les consommateurs qui décideront ce que deviendra le multimédia. À cet effet, il faut surtout réaliser que le multimédia est le premier gros choc culturel depuis très longtemps. Nous devons leur apprendre à maîtriser les aspects du multimédia comme ils ont appris à maîtriser, à titre d’exemple, les aspects de la téléphonie. »
Former la relève
La diversité de l’expertise en multimédia représente un autre enjeu important selon Michèle Guay, du CPLQ. « On trouve actuellement assez peu d’experts en marketing pour commercialiser internationalement les produits multimédia québécois, affirme-t-elle. De la même façon, nous devons former des scénaristes habitués à œuvrer avec l’interactivité. Présentement, les scénaristes sont principalement issus d’autres domaines, celui de la télévision et du cinéma, par exemple. La formation de spécialistes devient encore plus capitale quand on pense que certaines compagnies sont passées de 12 à 60 employés en moins de deux années. Des gens qui s’étaient lancés en affaires avec quelques copains doivent maintenant affronter les défis d’une croissance rapide. »
Et cette croissance n’est pas exclusive aux petites boîtes. Pierre Savignac, de Vidéotron, souligne que le marché évolue si vite que plusieurs joueurs doivent établir des plans trimestriels aulieu de le faire sur une base annuelle.
Vidéotron : une cinquantaine de projets sur la table
Dans l’industrie du multimédia au Québec, Vidéotron a la particularité de jouer sur deux tableaux : l’accès et le contenu. L’entreprise a lancé, le 10 juin dernier, un service d’accès au réseau Internet par modem-câble et par ligne téléphonique. La technologie du modem-câble rend le multimédia praticable en temps réel. Précédemment, il était possible d’obtenir des images vidéos, mais il fallait attendre jusqu’à une heure avant de visionner une séquence de quelques secondes. Maintenant, un utilisateur peut visionner une séquence en temps réel pendant que la suite continue d’être téléchargée.
Commerce, échange et information
Vidéotron a aussi lancé, le printemps dernier, son site Web InfiniT. Celui-ci regroupe, entre autre, une section nommée Quartier des citoyens qui présente, en 23 sections, de l’information sur, par exemple, l’actualité, la météo, le tourisme et le monde des affaires. On y retrouve également une section nommée Boutique, où l’on peut se procurer divers produits de détaillants tels que Le Coin des petits, Monsieur Félix & Monsieur Norton, la boutique du musée des Beaux-Arts de Montréal, etc. « Nous développons présentement, avec la Banque Nationale et l’entreprise américaine Cybercash, différentes possibilités de transactions bancaires et commerciales, indique Pierre Savignac, chef de produits Internet de Vidéotron. Pour l’avenir, nous croyons en l’énorme potentiel des transactions financières à travers l’Internet. « D’un point de vue commercial, Pierre Savignac décrit le positionnement futur de Vidéotron comme celui d’un entremetteur entre vendeurs et acheteurs.
Le lien entre vendeurs et acheteurs
Sans en donner les détails, Pierre Savignac fait aussi état d’une cinquantaine de projets (nouvelles technologies, alliances, développement de contenu, etc.) sur lesquels les dirigeants de l’entreprise se pencheront durant les prochaines semaines. À titre d’exemple, l’accès à l’Internet sur l’écran de télévision, la mobilité grâce au partage des points d’accès à travers un consortium international, ou encore des alliances avec des services d’archives ou des bibliothèques.